mercredi 18 janvier 2012

Quand Alain Hubert préface "Des routes et des Hommes"...


"Des routes et des Hommes", le livre.... 

Il y a à peine plus de 2 ans, rappelez-vous de ces deux frères Namurois, deux frères unis pour réaliser un projet hors du commun : un voyage en vélo à travers trois continents, sans intention de battre des records, mais bien de faire battre leur cœur. 
Au fil des jours et des kilomètres, les expériences insolites, inattendues, ordinaires ou extraordinaires vont se succéder. Chaque jour apportant son lot de surprises, de rencontres, de visages. 

Cette aventure fraternelle réduit la distance entre le cœur des hommes et nous rappelle que nos rêves ne sont pas faits pour être remisés au placard mais bien pour être ancrés, sans attendre, dans la réalité.
"Des routes et des Hommes", extrait :


1. Quelque chose à vous dire…

Ceci est l’histoire de deux Monsieur Tout Le Monde. Ils ont quitté travail, famille, amis afin de réaliser leur rêve : un voyage en vélo de plusieurs mois à travers plusieurs continents. Rien d’exceptionnel donc…

Cette histoire, c’est la nôtre. Celle de deux frères que beaucoup de choses opposent mais que l’essentiel pour réaliser un tel projet réunit. L’envie de découvrir et de rencontrer. Ensemble, nous réveillerons nos cinq sens pour capter l’air du temps, l’air du lieu. Le premier  est rigoureux, organisé. Le second est plus va-comme-je-te pousse. Deux personnalités bien différentes mais complémentaires, deux frères qui se connaissent bien, indispensable clé pour réussir un tel pari.

Au départ, il y a une envie : celle d’effectuer un long voyage et de ne pas attendre pour le faire. De partir par nos propres moyens, avec notre propre force motrice. « By fair means » comme dit Sylvain Tesson, un écrivain-voyageur français. À armes égales avec la nature. Pour mieux sentir les pays traversés, les gens rencontrés. Pour mieux vivre les découvertes. Un éloge de la lenteur en quelques sortes. Parce que nous voulons voyager lentement, prendre le temps. 
Bien avant de donner le premier coup de pédale, cette expérience est une remise en question. Une introspection, un retour sur soi alors qu’on n’est même pas encore parti, une réflexion sur notre manière de vivre, nos vies, nos priorités,… Un voyage, aussi magnifique soit-il, aussi beau soit-il, vaut-il la peine de tout quitter ? Vais-je retrouver un travail une fois rentré ? Peut-être arrivera-t-il quelque chose à un membre de notre famille, pendant notre absence ? Peut-être arrivera-t-il quelque chose à moi ou à mon frère ? Vais-je y arriver, physiquement, mentalement ?

Sortir des sentiers battus par les agences de voyage, par les tours opérateurs, c’est aller vers l’inconnu. Ce même inconnu qui, selon Antoine de Saint-Exupéry, épouvante, effraie, repousse, pousse à renoncer. Mais qui, en même temps, attire, nous attire. Tous les jours découvrir, se remettre en question, se (re)motiver. Tous les jours un nouveau départ... Bien sûr, ce ne sera pas tous les jours facile. On le sait, on le veut.

Nous voulons profiter de notre jeunesse. Nous voulons profiter de la vie. Simplement. Pleinement. Au départ, pour voir le monde. À la fin, surtout pour voir du monde.

Nous avons envie de saisir cette chance de réaliser ce rêve.

Au départ, le plus difficile est à faire: prendre la décision de partir. Faire une croix, temporaire, sur un emploi, la famille, les amis, le confort, l’habitude, le quotidien. Laisser tout ce qui est connu, acquis, tout ce qui derrière nous pour aller voir ailleurs.

Autre chose délicate : l’annoncer à nos parents. Leur annoncer que le fruit de leurs entrailles, les deux seuls fils, vont parcourir les routes pendant un an, avec les risques que cela comporte. Nous savons que la tâche sera âpre. Nous sommes conscients que cette aventure d’un an ne fait pas partie de leur vision de la vie.

Depuis quelques mois, nous travaillons à la concrétisation de notre périple. Une fois que nous avons bien avancé dans les préparatifs, nous nous décidons à leur annoncer la chose. Comment vont-ils réagir ? Nous savons que, dans un premier temps, nous allons les décevoir. Nous savons qu’ils ne vont probablement pas abonder dans notre sens.

Un soir comme les autres, entre le dîner et le film du soir, nous prenons notre courage à deux mains et décidons de leur annoncer notre intention de partir…
Adrien se lance :

« Papa, maman, on a quelque chose à vous dire. Ce n’est ni une bonne ni une mauvaise nouvelle… ».

Suis alors une longue explication de notre projet. L’itinéraire, le moyen de transport, la durée, la date prévue du départ et du retour, le budget. Nous expliquons tout.

La réaction ne tarde pas. Négative comme on le craignait… Tout leur semble saugrenu.

« Vous êtes complètement fous ! », « C’est hors de question », « Vous ne partirez pas », « Vous avez fait des études, vous avez un bon travail »,  « Il est hors de question de tout abandonner pour ça ! ». Le choc est frontal. On savait que nos parents n’allaient pas sauter de joie à l’annonce de ce projet un peu fou, mais pas à ce point.

L’espace de quelques heures, nous nous demandons même si, finalement, ils n’ont pas raison. Si ce n’est pas un caprice de jeunes, occidentaux, nantis que nous sommes. Ne devrions-nous pas, plutôt que de penser à prendre du bon temps en voyageant, penser à des choses « sérieuses », aux trucs « importants » qui font la vie d’un adulte ? Avoir une belle carrière, une belle maison, une belle femme, de beaux enfants, une belle voiture,…

Nous reprenons bien vite nos esprits. Nous irons jusqu’au bout des choses ! Pour ne pas regretter de ne pas l’avoir fait. Pour vivre autre chose. Pour vivre, tout simplement, et ne pas s’emmerder. Parce qu’on n’a pas envie d’attendre. Attendre quoi d’ailleurs ?! Que les choses se présentent d’elles-mêmes, que les autres fassent des choix à notre place, que le métro-boulot-dodo se mette en place et nous oblige à oublier nos projets ? La vie est trop courte pour être petite. C’est maintenant ou beaucoup, beaucoup plus tard ! Ce n’est pas à 60 ans qu’on va entreprendre ce genre d’aventure… Quoique, ça se discute aussi ça !
Tout quitter pour voyager, l’habitude n’est pas celle-là, dans notre milieu. Des gens « normaux » font des études, trouvent un travail, se marient, achètent une maison, font des enfants, achètent un chien, un chat, partent en vacances,.... Mais pas plus d’un mois grand maximum ! Le cadre, le quadrillage de la vie n’est pas fait pour en sortir. Beaucoup considèrent la ligne toute tracée. Nous, nous tracerons notre route nous-mêmes. Nous définirons seuls nos propres obligations. Et si c’était ça le luxe ?! Et si le luxe c’était l’espace !? L’espace que l’on se crée mentalement. Lorsqu’on ne s’enferme pas dans le cadre dessiné par soi-même ou par les autres… Il n’y a que les poissons morts qui suivent le courant. Nous avons envie d’être en vie, de suivre notre courant, notre route.

À force de motivation et de perspicacité, petit à petit, nous arrivons malgré tout à convaincre nos parents. Un travail de longe haleine. Car nous savons que nous avons besoin de leur soutien. Maintenant et quand nous serons à l’autre bout du monde. Notre moral en dépendra. Et c’est la clé pour aller au bout du chemin.

Se faire plaisir, c’est également ça qui sera une des clés. Et c’est avant tout ce qui a guidé notre démarche. C’est notre motivation principale. Nous roulerons dans des pays que nous avons envie de voir. On n’a pas envie de s’obliger à suivre un itinéraire dicté par tel ou tel « record » à battre. C’est notre cœur qui doit battre. Il battra physiquement, c’est sûr. Nous voulons aussi qu’il batte d’émotions. Car en choisissant le vélo, nous faisons le choix d’un voyage physique mais aussi d’un voyage de rencontres, de découvertes.  « Chacun sa route, chacun son chemin » dit la chanson.  « Chacun son voyage » aussi.

Le plaisir sera donc la pierre angulaire de l’aventure. Sans être une fuite de quoi que ce soit. Non, nous ne sommes pas mal dans notre peau. Aujourd’hui, partir sur « le long cours » signifie presque automatiquement la fuite de quelque chose, la fuite vers quelque chose. On ne peut pas entreprendre un tel défi sans être suspect. On est tellement bien chez nous ! Pourquoi ont-ils envie de voir le monde ? Est-ce normal d’être ainsi curieux de ce qui nous entoure ? Ce n’est plus normal d’être nomade, fût-ce même pour un temps seulement. Ce n’est pas normal de vouloir se faire mal ainsi. On doit être un marginal, être à côté des pompes de la société pour faire ça ! Forcément.
« Pourquoi partir ? » se demandent les sceptiques et les surpris. La question nous sera posée des dizaines et des dizaines de fois. « Pourquoi  pas ! » avons-nous envie de répondre. Est-ce si incongru d’être curieux du monde, des gens qui nous entourent ? Le monde sera notre terrain de jeux, de rencontres pendant près d’une année.

Aujourd’hui, il suffit d’allumer sa télé ou son ordinateur pour être connecté à la Terre entière, pour tout savoir sur ce monde qui nous entoure. Et pourtant, jamais le repli sur soi n’a été aussi intense. On communique, on met son profil Facebook à jour, on a des centaines d’amis sur la toile. Mais on n’ose adresser la parole à un quidam dans la rue pour demander son chemin. On a le GPS pour ça… La technologie nous rapproche ?! Elle nous éloigne, oui ! Pas de GPS pour nous. De bonnes vieilles cartes et puis surtout les gens que nous croiserons.

Mais au fait, pourquoi, pour qui faut-il se justifier ? « Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même », écrivait Nicolas Bouvier. On a envie d’effectuer ce voyage parce qu’on a envie de voyager. Point. Peut-être pour revenir un peu meilleur aussi. Parce que si nous faisons un voyage, c’est aussi et surtout le voyage qui nous fera.

La vie est trop courte pour être passive. « La fonction propre de l’homme est de vivre, non d’exister. Je ne perdrai pas mes jours à essayer de prolonger ma vie. Je veux brûler tout mon temps », nous enseigne Jack London.

Et puis surtout, comme le dit si bien Georges Brassens « Les braves gens n’aiment pas que l’on prenne une autre route qu’eux… »

Tout est dit.

Mais avant de partir, il faut construire notre projet. Il faut le préparer de manière consciencieuse, rigoureuse. C’est une autre clé de la réussite. Espérer le meilleur tout en se préparant au pire. Nous partons de rien. Notre expérience est inexistante. Nous sommes conscients de l’ampleur de la tâche. En être conscient et être prêt à relever le défi, c’est l’essentiel. Le reste suit.
Depuis plusieurs mois, notre entreprise mûrit et se construit. Mentalement et physiquement. Nous avons dévoré des bouquins de cyclos-voyageurs, nous connaissons tout des sites web sur le sujet. Nous connaissons par cœur les catalogues de matériel pour ce genre d’expédition.

On précise l’itinéraire tout d’abord. Aucun record. Que du plaisir. Après le « pourquoi partir » vient le « où partir ? » Choix difficile tant le monde est un vaste terrain de découverte qui ne demande qu’à être exploré. Voyager, c’est partir, partir quelque part, mais c’est aussi savoir rentrer chez soi. Nous ne voulons donc pas d’un voyage qui nous couperait trop longtemps de nos racines.  Après de longues discussions, de nombreuses lectures, une intense réflexion, nous tombons d’accords. Notre itinéraire nous mènera de Namur à Dakar, de Buenos Aires à Lima, de Los Angeles à Québec et d’Amsterdam à Namur. La boucle sera ainsi bouclée.

Nous n’irons pas en Asie. Pourtant ce n’est pas l’envie qui nous manque. Nous faisons l’impasse, à contrecœur, notamment sur le Japon, le Népal, la Mongolie, le Bhoutan… Sur la Nouvelle-Zélande et l’Australie, entre de nombreux autres. Autant de pays qui nous tentent énormément. Autant de pays que nous ne visiterons pas tout de suite. Notre portefeuille n’est malheureusement pas extensible. Notre calendrier non plus. Et puis nous ne souhaitons pas partir trop longtemps et devenir ensuite des étrangers dans notre propre pays.

Nous voulons vivre. Mais vivre, c’est aussi choisir et donc renoncer. Nous devons donc faire une croix sur certains pays.

L’équipement ensuite… qu’il faut choisir avec la plus grande attention. Nos quelques sacoches seront tout ce qu’on aura pour vivre. Il faut donc bien choisir encore une fois. Ni trop, ni trop peu, ni trop lourd. Simple, solide, facile à réparer en cas de problème. Mike Horn, l’aventurier de l’extrême est notre maître en cela.
Nous envoyons des centaines d’emails. Aux grandes marques comme aux plus modestes. Nike, Reebok, Adidas, Eider, Deuter,… Toutes, absolument toutes y passent. Et nous renvoient presque invariablement la même réponse : « Votre projet est très intéressant. Toutefois, il ne rentre pas dans le cadre de notre politique de sponsoring. C’est donc avec regret que nous devons blablabla, blablabla blablabla... »

Nous ne nous décourageons pas pour autant. Bien au contraire. Tant et si bien que nous parvenons quand même à récolter quelques réponses positives. Nous enfonçons les portes et ça marche !

Lentement mais sûrement, les mois, les jours diminuent avant le grand départ. Quelques médias s’intéressent à nous. Les vélos et le matériel sont prêts. Le moral aussi. Le site Internet est en ligne. Tout roule. Pourvu que ça dure. Au propre comme au figuré.

Jour J : nous ne pouvons plus reculer. Malgré le léger doute qui nous habite, nous sommes confiants. Les amis, la famille, les proches sont là pour nous voir partir. Le soleil nous encourage et nous réchauffe le cœur. Il nous faut bien son aide. Il règne en bord de Meuse un petit air de vacances en ce 8 juillet. On dirait une fête de famille. L’émotion – et les larmes – sont bien là. Nous ne pensions pas que ce serait aussi difficile. Le cœur lourd, nous voyons nos parents serrer les dents et tenter d’afficher malgré tout un sourire de circonstance. Notre maman nous laisse partir difficilement. Notre papa est plus retenu mais a tout autant de mal. Comme nous…

Le jour du départ, nous ne savons pas de quoi demain sera fait. L’incertitude totale ne nous quittera pratiquement plus. Nous le savons. Nous le voulons. Nous ne sommes pas les premiers à tenter l’expérience. Et encore moins les derniers. Pour nous, l’essentiel est ailleurs. Parce que chaque voyage, aussi grand soit-il, commence par un petit pas, un petit coup de pédale. L’aventure commence ici, derrière la porte, dès que nous tournons le dos à notre « chez nous », au « connu », dès que nous larguons les amarres.
Nous n’aimons pas les « au revoir ». Allons-nous revenir ? Quand ? Comment ? Dans quel état (d’esprit) ? Allons-nous arriver au terme du projet ? Sommes-nous bien préparés ? Sommes-nous prêts mentalement et physiquement ? Après quelques mots de remerciements, nous donnons nos premiers coups de pédale, nous laissons derrière nous notre famille et nos proches. Déjà une épreuve en soi. Pendant les quelques kilomètres qui nous séparent de la France, quelques amis nous accompagnent. Passée la frontière franco-belge, nous sommes seuls. Ou presque. Notre ami Charles reste avec nous pendant la première semaine. On sait que sa bonne humeur et son rire communicateur nous feront le plus grand bien. Derrière ses petites lunettes rondes dorées, cet Harry Potter blondinet, à la tête d’un éternel adolescent a plus d’un tour dans son sac pour mettre de bonne humeur un régiment entier !

Maintenant, ça y est, c’est parti pour une année de nomadisme. Nous avons rendez-vous avec l’inconnu. Nous ne savons pas où nous dormirons ce soir. Ce sera comme ça pendant un an. Pendant un an, nous jouerons aux nomades. À faire et défaire chaque jour nos sacoches. Chaque jour, faire et défaire nos affaires. Ne pas s’attacher. Toujours avancer. Ce sera notre quotidien.

Notre aventure, nous allons essayer de vous la faire aimer comme nous l’avons aimée. L’histoire de ce voyage pas tout à fait comme les autres de deux personnes comme les autres commence ici… Avec une impossible objectivité mais une subjectivité honnête obligée.
(Belga)